Le parti-pris de la corde
En faisant des recherches sur les premiers systèmes de maintien de la poitrine j’ai pris connaissance d’une théorie qui pourrait vous surprendre : le corps cordé.
Cette technique a été une révélation pour moi, donc je vous en fais part.
Le plus ancien corps piqué retrouvé date de 1598. Ils étaient constitué de brins d’osier, de petites planchettes de bois et même de fanons de baleines qui, introduits dans des coulisses, rendaient ces corps rigides.
Le port de ce type de corps est facilement reconnaissable, même sous les vêtements, puisqu’il déformait notablement le buste. C’est ainsi que l’on peut dire, grâce à la peinture et au statuaire, que le corps piqué a dû faire son apparition vers le milieu du XVème siècle.
Cependant, parallèlement à cette méthode de structuration rigide, il y avait des robes dont la structure était plus difficile à comprendre. En effet, regardons de près la mode allemande et italienne de la Renaissance, la poitrine est bien maintenue, mais comment ?
Notez l’arrondi parfait des bustes.
Il est vrai que cette ligne peut être obtenue par la coupe, des exemples le montrent dés le milieu du 14ème siècle mais il n'y a pas dans ces cas là l'effet "mono-sein".
Regarder ci-dessous, les trois formes se côtoyaient pendant la deuxième moitié du XVème : La dame en orange a une silhouette similaire à celles présentés ci-dessus, la dame en bleu semble porter un corps piqué baleiné sous sa cotte et on a l'impression que la dame en rouge assise parterre ne porte rien sous sa robe.
Mais là où cela devient particulièrement intéressant, c’est que cette belle courbe est maintenue, même quand la personne est avachie ! Comment est-ce possible ?!
Pour trouver la solution, du moins une solution plausible dans un contexte historique donné, il faut être bien conscient des techniques connues et utilisées à l’époque, et de leur manière de réfléchir la coupe.
La costumière moderne pense tout de suite aux goussets dans la corseterie 19ème ou même à des empiècements asymétriques, mais il est important de rester cantonné à des formes simples. Il ne faut pas oublier que La Coupe n’est qu’à ses débuts et le tailleur de la renaissance émerge d’un long passé de coupes géométriques.
C’est pourquoi quand j’ai vu l’étude comparative de Jen Thompson je l’ai trouvé particulièrement pertinente. Elle a simplement appliqué 4 méthodes de rigidification (plausibles pour l’époque) à une base coupée tel un bustier classique de cette période :
-un corps cordé
-un corps en tissu fin
-un corps surpiqué
-un corps en tissu rigide
Le résultat est assez incroyable. Voyez-vous même.
http://www.festiveattyre.com/research/diary/stiffeners.html
En tant qu’artisane, et d’un point de vue empirique, je suis totalement convaincue. Il reste maintenant à vérifier si cette méthode est vraisemblable, historiquement parlant.
- La matière première existait et était facile d’accès.
- La corde était utilisée sur les bustiers de manière décorative (trapunto).
- Le principe d’introduire un élément rigidifiant dans une coulisse était courant.
- La corde était utilisée pour rigidifier d’autres éléments du costume (voir message sur les vertugadins).
Malheureusement, à ce jour, nous n’avons aucune source primaire indiquant l’existence de ce type de corps mais il y avait quelque chose. Parfois, dans la reconstitution, la part expérimentale doit prendre le dessus afin de pouvoir poursuivre les recherches mais il faut demeurer vigilant et toujours ouvert à de nouvelles et plus pertinentes explications.
Je suis en tout cas prête à prendre le parti-pris de la corde.
Il y a des fabuleux sites de costumières qui expliquent cette méthode/théorie mais j’ai repris les bases ici pour nos lecteurs francophones, car hélas ces informations sont en anglais. Je vous conseille tout de même le site d’une costumière qui a été d’une grande inspiration pour moi et sa page sur le corps cordé.
http://www.festiveattyre.com/gallery/index.html
http://www.festiveattyre.com/research/diary/diary2.html
Juste pour les curieux, voici deux exemples de corsets cordés portés durant le 1er Empire sous Napoléon 1 au début du XIX ème siècle: